Jean François Poussard partage avec nous le récit littéraire d’une expérience cinématographique
Côte de beauté. (Ainsi s’est-elle elle-même nommée). Le montreur de marionnettes.
Alors qu’aux années trente le cinéma éclaboussait les grandes villes de sa lumière intermittente (puisque l’obturateur tourne vingt-quatre fois par seconde) un pèlerin de cet art qu’on disait le septième parcourait la province profonde, ou du moins celle aux ciels de Méliès, aux plages de Zanuck et aux vents felliniens.
Sa camionnette s’arrêtait dans ces bourgades qui en étaient encore aux patoiseries paysannes, au théâtre de salles-des-fêtes et cérémonies de remise des prix, aux bals d’accordéon, pour apporter aux populations indigènes la salvatrice dévastation hollywoodienne qui leur enseignerait à mettre les pieds sur la table, boire du whisky et coca, assassiner son prochain et des indiens s’il s’en trouvait, laver son linge plus blanc, ruminer du chewing-gum, voir pousser comme herbe ces buildings d’où l’on se défenestre en s’accrochant à une pendule ou bien périt de trouille parce qu’un gorille vagit à son sommet : en somme tout ce qui vous fera regretter une guerre et ses sauveurs yankees.
Certes on « produisait » aussi en France et ce monsieur Couzinet, girondin parmi les saintongeais, se faisait une fierté de tendre son écran à texture argentée telle une robe de gala, aux gloires presque immortelles de Chaplin, Von Stroheim,
Darrieux, Monroe, Zarour. Et bien qu’en ces temps il eut encore des gens de Cozes ou Gémozac qui n’aient jamais été plus loin que Poitiers ou Libourne il se félicitait que son public n’alla derrière l’écran voir ceux qui s’y cachaient, tel font les noirs d’Afrique soumis eux aussi aux magies électriques des missionnaires.
Malgré la défiance qui sied aux ruraux -comme si c’était leur quartier de noblesse- il était progressivement bien accueilli, quelques femmes et gamins colleurs d’affiches ou vendeurs de friandises étant ses alliés pour chaque charge de foi et conviction que réclamait son sacerdoce.
Et puis un jour il y tint plus. A force de diffuser avec sa lampe à arc des fantômes de cellulose il eut envie de les voir « en vrai », en chair… même si ces gens n’existaient, justement, que par leur fantôme.
On était donc dans une époque de Progrès (disaient les politiques, oubliant que ce mot avait depuis cinq siècles remplacés celui de Providence) et nul curé en chaire n’avait fustigé ces ectoplasmes, ces mirages comme une de ces illusions que l’église catholique abominait chez les gens de tréteaux ou que le Bouddha condamnait comme mâyâ « mouches volantes, flammes d’une lampe ». Non, la poussée était trop forte et cette augmentation du théâtre d’ombres chinoises devenue industrie faisait trop éclater les restrictions mentales qu’on ne la jugea digne d’exister. La lumière que devait faire entrer les vitaux des chapelles semblait désormais peu face au pinceau du projecteur dissipant les ténèbres.
Mais certes, constatait le curé de Royan, que de frais et de forces englouties pour célébrer que des vies ordinaires, des sentiments fort bas, voire voyous et des modèles sans épaisseur. Où étaient donc Racine, Rabelais, Euripide cinglait l’instituteur ! Faisant fi de ces prudentes élévations notre cinéphile faisait défiler en sa boite crânienne le film juste révélé de studios de cinéma. La Côte de beauté possédait un « micro-climat » faisant qu’elle accueillait le soleil plus souvent que d’autres… et puis il y avait des collines où planter
Fin de la première partie.