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Critique : Les Musiciens — l’harmonie fragile de la création

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Une ouverture en douceur… au cœur d’un Stradivarius

La première scène est un petit miracle de cinéma sensoriel. La caméra nous plonge à l’intérieur d’un violoncelle comme dans une cathédrale de bois, pendant qu’au-dehors un luthier murmure son verdict : il s’agit bien du « San Domenico », un Stradivarius mythique. D’entrée, Les Musiciens installe son double enjeu : convoquer la magie de la musique classique tout en la démystifiant, en montrant ce qui la rend possible — les mains, les failles, les tempéraments. Et le film, heureusement, tient cette promesse.

Une utopie mélomane… sous tension

Astrid (Valérie Donzelli), directrice d’une fondation créée par son père passionné de musique, veut réaliser son rêve posthume : faire jouer ensemble quatre Stradivarius pour un concert unique. Un objectif noble, mais presque absurde, tant la virtuosité de ces instruments s’oppose aux limites humaines de ceux qui en joueront. Les quatre musiciens recrutés — un premier violon arrogant, un deuxième au passif amoureux chargé, une altiste star des réseaux, une violoncelliste méprisée — forment un quatuor dissonant au départ. Grégory Magne, avec un sens du détail et du rythme, nous propose une sorte de huis clos bucolique au sein d’un manoir, où la musique devient autant une quête qu’un révélateur de tensions enfouies.

La musique classique, accessible et vivante

Ce que réussit admirablement Les Musiciens, c’est de rendre la musique classique profondément vivante. Loin de l’élitisme poussiéreux, elle devient ici un langage émotionnel partagé, avec ses éclats, ses silences et ses chausse-trappes. Le choix de confier les rôles de musiciens à de vrais instrumentistes est déterminant : les scènes de répétition sont d’une authenticité rare, et les gestes, les regards, les respirations collectives racontent autant que les dialogues.

Une partition humaine trop bien réglée ?

Si le film charme par sa sincérité et sa mise en scène délicate, il pèche parfois par excès de maîtrise. Le scénario s’appuie sur des dynamiques familières (le génie misanthrope, l’influenceuse incomprise, les vieilles rancunes) sans les surprendre réellement. On devine souvent ce qui va arriver, et certains conflits semblent plus écrits que vécus. Heureusement, l’interprétation — notamment celle, subtile et terrienne, de Frédéric Pierrot — apporte une profondeur salutaire à des personnages parfois trop archétypaux.

Une fable sur l’art… et le collectif

Au-delà de la musique, Les Musiciens est un film sur la création et ce qu’elle exige : écoute, modestie, dialogue, et un dépassement de soi au service de plus grand que soi. Une métaphore à peine voilée du travail cinématographique, où le « quatuor » n’est plus fait d’archets, mais de techniciens et de comédiens. Et à l’heure des egos débridés, du clash permanent et du chacun pour soi, ce rappel que la beauté peut surgir de l’effort collectif n’est pas anodin.

 

🎟️Note : 4/5

Les Musiciens est une œuvre sensible et élégante, qui célèbre la musique classique sans la sacraliser, et le travail d’équipe sans angélisme. Une comédie humaine modeste mais vibrante, aussi juste dans ses silences que dans ses envolées. Grégory Magne signe un film à la fois modeste et ambitieux, plein d’élégance et d’humanité. Les Musiciens ne révolutionne ni le cinéma ni le genre, mais il rappelle que l’art, même classique, peut toucher tout le monde — à condition d’y croire, ensemble. Un bel hommage au pouvoir du collectif et à la beauté fragile des choses bien faites.