Casting | Critiques
Quand Netflix refuse de laisser grandir ses enfants


Par la Rédaction | Décembre 2025

Quand Netflix refuse de laisser grandir ses enfants

Stranger Things Saison 5 - Le casting
Stranger Things Saison 5 – Le casting original, neuf ans après la première saison. © Netflix 2025

Le rideau est tombé sur Hawkins. La saison 5 de Stranger Things est disponible et, si l’émotion des adieux est présente, elle laisse un arrière-goût étrange, presque gênant. Le verdict est sans appel : le « suspension of disbelief » – cette fameuse suspension de l’incrédulité – a volé en éclats. Pas à cause des monstres ou de l’Upside Down, mais à cause d’un choix artistique incompréhensible : avoir figé le temps alors que les corps, eux, ont changé.

Le flagrant délit d’anachronisme physique

C’est le choc visuel de cette ultime saison. D’un côté, nous avons des acteurs – Millie Bobby Brown, Finn Wolfhard, Noah Schnapp et les autres – qui sont désormais de jeunes adultes accomplis de 21 ou 22 ans. De l’autre, un scénario qui s’obstine à les maintenir dans une bulle temporelle bloquée à l’automne 1987, censés incarner des lycéens de 16 ans.

Le contraste avec la saison 1 (2016) est cruel. Hier : ils avaient 12 ans, des voix fluettes et des visages d’enfants. L’époque (1983) collait à leur peau. Aujourd’hui : ce sont des hommes et des femmes, avec des carrures d’adultes, que la production tente désespérément de camoufler sous des vêtements aux motifs « enfantins » et des attitudes de collégiens attardés.

La costumière Amy Parris a elle-même reconnu le défi au magazine TIME : « Ces jeunes ont bien l’air d’avoir la petite vingtaine. Les motifs donnent un style enfantin et les rayures font plus jeune… » L’aveu est accablant. On habille des adultes comme des enfants pour maintenir une illusion que plus personne ne peut croire.

Le syndrome du BMX : une erreur de direction artistique

L’image la plus douloureuse de cette saison restera sans doute celle de ces gaillards d’1m80 pédalant, genoux contre le guidon, sur des petits vélos cross dans les rues d’Hawkins. Le site AlloCiné pose d’ailleurs la question que tout le monde se pose : « Comment croire encore à ces gamins sur leurs BMX qui sauvent le monde avec leurs talkie-walkies ? »

C’est une erreur fondamentale de direction artistique. À cet âge réel et avec ces physionomies, on ne joue plus aux aventuriers en vélo, talkie-walkie à la main. On conduit. On passe le permis. On traîne dans des parkings. Le refus de l’évolution est total :

  • Mêmes maisons, mêmes décors – Aucune évolution sociologique du cadre.
  • Mêmes codes vestimentaires figés – Voir des adultes porter la coupe au bol de Will Byers ou les brushings « sages » de Mike en 1987 relève de la caricature assumée.
  • Comportements figés – Les interactions restent celles de collégiens, créant un décalage immense avec la maturité physique des comédiens.

« Le vieillissement des ados héros et les désormais vagues marqueurs temporels nuisent à l’immersion. J’ai eu à plusieurs reprises des difficultés à situer l’époque où se déroulaient les événements. 1986 ? 1987 ? 1990 ? »

— FulguroPop

Le rendez-vous manqué des années 90

La frustration est d’autant plus grande que la porte de sortie était évidente. Cette saison 5 aurait dû être celle du saut dans le temps. Pourquoi ne pas avoir propulsé l’intrigue en 1990 ou 1991 ?

Cela aurait tout réglé :

  • Crédibilité – Les acteurs auraient enfin pu jouer leur âge réel : des étudiants, de jeunes actifs entrant dans la vie adulte.
  • Renouveau visuel – Au lieu de saturer l’écran de la même nostalgie 80s usée jusqu’à la corde, nous aurions découvert la transition vers le style grunge, les chemises à carreaux, les premières voitures personnelles.
  • Cohérence narrative – Trois ans et demi entre la saison 4 et la saison 5 dans le monde réel, mais seulement 18 mois dans la fiction ? Le compte n’y est pas.

La défense des Duffer : un argument qui ne tient pas

Face aux critiques, les frères Duffer se défendent. Matt Duffer a déclaré à Variety : « On voit beaucoup de gens qui se plaignent que les acteurs ont l’air bien plus vieux. Moi, ça ne me dérange pas du tout. La plupart ont 21 ou 22 ans, le même âge qu’avaient Natalia Dyer et Charlie Heaton quand ils jouaient des lycéens dans la saison 1. »

L’argument est fallacieux. Dyer et Heaton incarnaient des personnages de 17-18 ans, des terminales. L’écart était de 2-3 ans, acceptable. Aujourd’hui, on demande à des adultes de 21-22 ans de jouer des ados de 16 ans – soit un écart de 5 à 6 ans – et surtout, on leur demande de se comporter comme des collégiens découvrant la vie. Joe Keery, 33 ans, incarne Steve Harrington, censé avoir 21 ans. L’écart de 12 ans devient grotesque.

Un cas d’école pour l’industrie du casting

Pour nous, professionnels du casting et de la figuration, Stranger Things saison 5 est un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. La série illustre les dangers d’un casting d’enfants pour une production longue sans anticiper leur croissance.

Les solutions existaient pourtant :

  • Le time-skip assumé – Comme l’a fait Harry Potter en respectant le vieillissement naturel de ses acteurs sur 10 ans de tournage.
  • Le recast partiel – Audacieux mais honnête envers le public.
  • L’adaptation du scénario – Faire évoluer les personnages avec leurs interprètes, plutôt que de les figer artificiellement.

Le verdict

Stranger Things se termine sur une note fausse. En refusant de laisser ses personnages grandir aussi vite que ses acteurs, la série nous a offert un spectacle d’adultes jouant à la dinette dans un décor de maison de poupées. Une fin en demi-teinte pour une série qui, ironiquement, a eu peur de l’avenir.

Le plus cruel dans cette histoire ? Les acteurs eux-mêmes semblent conscients du problème. Noah Schnapp a confié à Entertainment Weekly avoir pleuré en regardant les épisodes 5 et 6. On veut croire que c’est l’émotion des adieux – mais peut-être aussi la conscience d’une occasion manquée.

Rendez-vous le 26 décembre pour le Volume 2, et le 1er janvier 2026 pour l’épisode final. Nous verrons si Netflix parvient à sauver les meubles. Mais le mal est fait : la magie de Hawkins s’est brisée sur l’écueil du réel.

Notre note

2,5/5

« Une fin qui refuse de grandir »

La Rédaction de Figurants.com