Cinéma | Critiques
« Anora » : Quand Cendrillon rencontre Tarantino

Palme d’Or au Festival de Cannes, le nouveau film de Sean Baker (« The Florida Project », « Tangerine ») bouscule les codes du conte de fées moderne avec une audace stupéfiante. « Anora » s’impose comme une œuvre marquante qui déconstruit le mythe du rêve américain à travers le prisme d’une histoire d’amour aussi intense que dérangeante.

Une révélation nommée Mickey Madison

Au cœur de cette œuvre se trouve une performance exceptionnelle de Mickey Madison, aperçue brièvement dans « Once Upon a Time in Hollywood ». L’actrice livre une interprétation sans compromis dans le rôle d’une strip-teaseuse new-yorkaise, n’hésitant pas à se mettre à nu, tant physiquement qu’émotionnellement. La caméra de Baker, au plus près des corps, capture avec une franchise désarmante l’intimité du personnage, particulièrement durant la première partie du film.

Un conte de fées moderne aux accents noir

L’histoire débute dans l’univers des clubs de strip-tease new-yorkais, où la protagoniste évolue en tant que danseuse. Sa rencontre avec un mystérieux client russe, fils d’oligarque, fait basculer le récit dans une variation moderne et désabusée de Cendrillon. Ce qui commence comme une proposition indécente – une semaine de compagnie contre rémunération – évolue rapidement en une demande en mariage à Las Vegas, motivée par l’obtention d’une « green card ».

Un thriller aux multiples facettes

Le film opère alors un virage radical lorsque la famille du jeune homme tente d’annuler cette union. Baker transforme son film en un thriller violent aux accents tarantinesques, parsemé d’une violence graphique mais paradoxalement empreint d’un humour noir décapant. Les personnages secondaires, hauts en couleur, participent à cette métamorphose générique qui maintient le spectateur en haleine.

Une maîtrise formelle impressionnante

Sur le plan technique, Baker confirme sa maîtrise du médium. La photographie sublime sert un découpage en trois actes distincts, chacun adoptant un rythme et une tonalité propres. Le montage, particulièrement travaillé, alterne entre séquences nerveuses et plans contemplatifs, notamment dans une troisième partie intense qui culmine en une conclusion poignante. La bande sonore, soigneusement sélectionnée, accompagne parfaitement cette progression narrative.

Une critique sociale acerbe

Au-delà de son aspect divertissant, « Anora » propose une réflexion acérée sur la jeunesse contemporaine et le capitalisme américain. Baker dresse le portrait d’une génération désabusée, pour qui le rêve américain s’est transformé en mirage toxique. Le film parvient à être à la fois une œuvre grand public et une critique sociale percutante.

Verdict

« Anora » mérite amplement sa Palme d’Or, réussissant le tour de force d’être à la fois accessible et artistiquement ambitieux. Sean Baker signe ici son œuvre la plus accomplie, mêlant avec brio les genres cinématographiques tout en maintenant une cohérence stylistique remarquable. Mickey Madison, quant à elle, livre une performance qui marquera assurément les esprits et devrait lui ouvrir les portes d’une carrière prometteuse.

Le film s’impose comme l’une des œuvres majeures de l’année, prouvant qu’une Palme d’Or peut être à la fois exigeante et populaire, provocante et profondément humaine. Une réussite totale qui confirme le talent de Sean Baker et enrichit le cinéma américain indépendant d’une œuvre aussi singulière qu’inoubliable.

★★★★★ (5/5)

#JEANO