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Critique : Jeunes Mères — les Dardenne au pluriel

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Un retour en grâce ?

Depuis plusieurs films, le tandem belge Luc et Jean-Pierre Dardenne semblait avoir perdu ce qui faisait sa force : une tension dramatique condensée dans un minimalisme percutant. Après Tori et Lokita ou Le Jeune Ahmed, jugés répétitifs ou trop didactiques, Jeunes Mères apparaît comme une tentative de renouvellement. D’abord par sa forme chorale inédite dans leur œuvre, ensuite par sa volonté d’embrasser un lieu commun (la maison maternelle) pour y déployer une diversité de récits. Cinq jeunes femmes, cinq histoires de maternité précoce, cinq trajectoires suspendues entre le déterminisme social et l’élan de survie.

Une forme fidèle, un contenu morcelé

Le style Dardenne est intact : caméra à l’épaule, lumière naturelle, économie de musique, jeu d’acteurs épuré. Mais ici, cette grammaire connue épouse une construction plus morcelée. Chaque jeune mère — Jessica, Perla, Julie, Ariane, Naïma — incarne une configuration sociale et affective différente. Le film joue alors sur des rythmes d’ascension et de rechute, de fragilité et de bravoure. Parfois, cela touche juste : un regard fuyant, un biberon refusé, une étreinte qui tarde trop. Parfois, la mécanique se fait sentir, et les arcs narratifs deviennent trop démonstratifs pour vraiment émouvoir. L’effet de catalogue guette.

Le réalisme comme éthique

Comme souvent chez les Dardenne, il ne s’agit pas tant d’expliquer les conditions sociales que de faire exister les corps dans ces conditions. À travers leurs héroïnes, ils évitent le manichéisme et signent quelques scènes d’une ambiguïté bouleversante. Une mère en devenir ne ressent rien pour son enfant ; une autre ne sait pas si le confier à une famille d’accueil ne serait pas une forme d’amour plus grande. Ces conflits intérieurs sont le cœur battant du film, et c’est quand Jeunes Mères s’autorise la nuance qu’il prend toute sa valeur.

Entre humanisme et limite politique

Ce que le film réussit dans le portrait intime de ses protagonistes, il l’effleure à peine sur un plan plus systémique. Le cadre de la maison maternelle semble presque trop idéal, trop protecteur pour être tout à fait crédible — comme si les Dardenne, en humanistes convaincus, hésitaient à mettre en cause un système social qu’ils préfèrent observer que questionner. À force de concentrer leur regard sur le micro (les individus), ils oublient parfois le macro (la structure), ce qui limite leur cinéma social à la sphère affective.

🎟️Note : 3,5/5

Sans révolutionner leur cinéma, les frères Dardenne prennent ici un virage doux vers la choralité, et y trouvent parfois une émotion nouvelle. Jeunes Mères est un film de regards, de silences, d’instincts. Un film sur les blessures précoces, les maternités contrariées et les filiations bancales, qui ne prétend pas réenchanter le monde mais rappelle, à sa manière, que l’espoir passe souvent par l’autre.