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Critique : Se souvenir des tournesols — Dernier été dans la diagonale du vide

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Dernier été dans la diagonale du vide

Avec Se souvenir des tournesols, Sandrine Mercier et Juan Hidalgo signent un documentaire aussi lumineux que mélancolique, en immersion dans les champs dorés du Gers. Le film suit Anaïs, 17 ans, flûtiste dans une banda locale, sur le point de passer le bac et de quitter son village natal pour poursuivre ses études à Pau. Une histoire banale en apparence, mais qui devient, entre les mains du duo toulousain, un portrait sensible de la jeunesse rurale prise entre enracinement et exode.

Une carte postale qui interroge

Le titre, poétique, évoque une mémoire intime et collective. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : la mémoire d’un territoire que l’on quitte sans forcément vouloir le faire, la mémoire d’un âge où les choix de vie sont dictés autant par les rêves que par la géographie. Car si Anaïs est entourée d’une famille aimante, d’amis sincères, et d’un tissu associatif vivant – fanfares, fêtes de village, vendanges – rien de tout cela ne suffit à offrir un avenir professionnel sur place. L’université n’est pas là, les débouchés sont ailleurs. Alors il faut partir, comme tant d’autres.

Le piège du beau décor ?

Sur le fond, le documentaire frôle parfois le plaidoyer touristique, avec ses champs filmés par drone, ses couchers de soleil sur les collines gersoises et ses visages rayonnants. Mais ce serait injuste de le réduire à une carte postale. Car derrière cette façade solaire, les réalisateurs interrogent, sans didactisme ni misérabilisme, les conséquences concrètes de ce que les géographes appellent “la diagonale du vide” : désertification des services publics, éloignement des études supérieures, sentiment d’abandon.

Les voix de ceux qui restent

Le film est aussi porté par la musique – véritable ciment social dans ces villages – et par le regard bienveillant mais lucide que les auteurs portent sur leurs personnages. Thierry, chef de banda, et Éric, viticulteur-musicien, incarnent ceux qui sont revenus, à rebours du courant. Anaïs, elle, représente cette jeunesse attachée à son territoire, mais poussée à l’ailleurs. Ce décalage temporel est au cœur du propos : entre ceux qui restent et ceux qui partent, se creuse un silence que les fanfares ne suffisent pas à combler.

Une esthétique maîtrisée… peut-être trop

Visuellement, Se souvenir des tournesols est soigné, parfois trop. Les images sont belles, souvent très composées, au risque d’esthétiser ce qui pourrait gagner à être plus brut. Le film préfère le sentiment au constat sociologique. On aurait aimé plus d’aspérités, plus de contradictions, car elles existent : la ruralité ne se résume pas à des fanfares joyeuses ni à des tournesols penchés au crépuscule. Mais cette retenue est aussi une force. Elle laisse la place à l’émotion discrète, à l’attachement pudique.

Souvenirs d’un monde qui change

Ce qui reste, à la fin, c’est ce goût doux-amer des “dernières fois” : dernier été, dernière fête, dernier morceau joué sur la place du village. Se souvenir des tournesols ne nous dit pas si Anaïs reviendra. Il nous invite à ne pas oublier, en tout cas, qu’il y avait là une jeunesse, une vie, une promesse.

 

🎟️Note : 4/5

Se souvenir des tournesols est un documentaire à la fois simple et profondément touchant, qui donne à voir ce qu’on ne regarde presque jamais : le quotidien d’une jeunesse rurale, tiraillée entre attachement et nécessité du départ. Sans effets de manche, Sandrine Mercier et Juan Hidalgo signent un film solaire, à hauteur d’adolescente, qui touche par sa sincérité plus que par ses démonstrations. Une œuvre à voir comme une ode discrète à ces territoires que l’on dit « vides », mais qui débordent d’humanité et de musique.