Un film, une histoire : Le Limier
« Le Limier » est un film policier britannique de Joseph Mankiewicz adapté de la pièce Sleuth d’Anthony Shaffer. Un film au scénario pour le moins inhabituel, ingénieux et bluffant. La mise en scène, quant à elle, est magistrale et parfaitement maitrisée. Un épatant huis-clos, un fin combat psychologique, un magnifique jeu de chat et de la souris entre deux immenses acteurs qui nous offrent une époustouflante prestation, Laurence Olivier et le génial Michael Caine qui trouve ici sans doute, un de ses meilleurs rôles au cinéma.
Ce film subtil, est avant tout l’histoire d’un duel, aussi bien sur le plateau que dans les coulisses.
Joseph Mankiewicz, producteur à la MGM à la fin des années 1930, et devenu le plus brillant auteur-metteur en scène de la Fox, à la fin des années 1960, n’est plus le cinéaste phare de son époque à l’aube des années 1970. Au cours de cet été 70, il assiste avec son épouse Rosemary à une représentation du Limier en Angleterre. Une intrigue resserrée autour de deux protagonistes de générations et de classes sociales différentes, une bataille d’esprits, où les mots sont des armes.
« C’est la notion de jeu qui m’a attiré en premier dans la pièce d’Anthony Shaffer » déclarait en 1987 le réalisateur au journaliste Pascal Mérigeau. Vient s’ajouter à cela un autre défi : « Etais-je capable d’intéresser le public avec seulement deux personnages, qui s’affrontent pendant deux heures ? ». Dès lors que la société de production Palomar, lui propose d’aider Shaffer à adapter sa pièce et la mettre en scène au cinéma, Mankiewicz n’hésite pas. Les deux hommes travaillent alors ensemble dès le printemps 1971 et se pose d’emblée pour eux la question de la fidélité au texte d’origine. La collaboration entre les deux hommes se déroule de manière harmonieuse, même si surgissent quelques tensions avant le tournage. Mankiewicz fait des ajouts scénaristiques, enrichissant la dimension sociale de la pièce. Il a aussi l’idée du labyrinthe où se rencontrent les deux protagonistes.
Les séances autour du scénario s’enchainent, studieuses, la production avance à marche forcée et le casting est lancée. Si la rumeur court que Cary Grant, alors retiré du métier, est approché pour incarner le romancier, l’hypothèse fait long feu. Dès juin 1971, Mankiewicz se rend à Oxford pour assister à une représentation d’Ampyitrion 38 avec Laurence Olivier. L’acteur considère le Limier comme une pièce facile, malgré son absence dans un premier rôle au cinéma depuis longtemps, et donne son accord rapidement. Albert Finney, Alan Bates, Peter O’tolle et Sean Connery sont envisagés pour donner la réplique, sans succès, et c’est finalement Michael Caine qui est engagé.
Le début du tournage est marqué par les problèmes de santé du cinéaste, auxquels viennent s’ajouter ceux de la production. Ii ingurgite des médicaments pour tenir, comme aux heures sombres de Cléopâtre… Mais est bien décidé à ne rien laisser paraitre.
Au début des répétitions, le réalisateur assiste à la première rencontre entre Olivier et Caine et de fait, les deux hommes s’entendent immédiatement. Caine ne sachant de quelle manière parler à l’unique acteur membre de la chambre des Lords du Royaume, avait reçu un petit mot d’Olivier visant à le mettre en confiance : « Tu te demandes peut-être comment t’adresser à moi quand on se verra, à partir du moment où on se serrera la main, ce sera Larry pour toujours. » Mankiewicz qui souffre d’une lombalgie aiguë, n’en profite guère et il est obligé de quitter les plateaux pendant de longues semaines. Lors de son retour, fin mai, au studio de Pinewood l’ambiance a changé. Alors que Caine livre une bonne performance, Mankiewicz ne peut en dire de même d’Olivier, ses pertes de mémoire inquiètent le cinéaste. Pour sa défense, le comédien se plaint auprès de Shaffer de lui avoir écrit des dialogues trop littéraires. Et les effets de la prise de calmants altèrent un peu plus ses troubles de santé. Lorsque son entourage
le comprend, tout rentre dans l’ordre. Caine déclarera dans ses mémoires : « Dès que Laurence Olivier a arrêté de prendre ses calmants, il est devenu parfait et tellement puissant que je lui ai conseillé de les prendre à nouveau pour mon propre bien. Cela l’a fait rire. »
Lors du tournage de la seconde partie du limier, Olivier va se laisser déborder par son ego. Michael Caine le ressent violemment et s’en plaint à son metteur en scène : « Quand larry n’est pas à vos pieds, il vous saute à la gorge. » Une situation qui met le Cinéaste sous pression qui, confesse dans son journal être très fatigué. Malgré tout, le tournage avance et Mankiewicz achève ses plans avec Caine et Olivier, en studio, fin juillet 1972.
Le film sort comme prévu le 10 décembre 1972 et, triomphe auprès d’un public séduit par l’intelligence complice et jouissive qui se dégage de chaque réplique, de chaque retournement de situation, de chaque plan.
Le Limier sera le dernier film de Mankiewicz, qui refusera une proposition de Robert Redford de mettre en scène Les Hommes Du Président. Sa retraite prématurée interpelle, mais tout compte fait, n’a-t-il au fond pas eu raison ? clôturer sa carrière par Le Limier, constitue un éblouissant tomber de rideau…
Un brillant exercice de style, qui force le respect et l’admiration. L’intrigue mais surtout le jeu des acteurs est un véritable régal. Un film splendide…